Des fouilles, d’une ampleur exceptionnelle, viennent de s’achever à Villeneuve-sur-Lot, au lieu-dit Anglade. Réalisées par le bureau d’études Éveha sous la responsabilité de Pierre Dumas-Lattaque, secondé d’Émilie Roques et de Paul Peignot, ces investigations ont été menées dans le cadre du projet de construction d’une maison d’un particulier sur 4500 m². Elles ont permis de mettre au jour une partie d’un camp militaire datant de la période antique.
Contexte historique
L’existence de ce camp était soupçonnée depuis la découverte, au 17e et 18e siècles, de stèles funéraires de soldats puis de mobiliers militaires (armes, objets caractéristiques) au cours des fouilles réalisées depuis les années 70 jusqu’à nos jours. Si l’emplacement de la ville antique d’Excisum était connu notamment par les vestiges encore visibles du temple de la cité situé en face du centre pénitentiaire, l’emplacement du camp militaire n’était, quant à lui, pas assuré.
À l’issue de la fouille et en attendant la confirmation par l’étude de la céramique, le site semble présenter trois grandes phases d’occupation.
Une première occupation entre le tournant de notre ère et 30 ap. J.-C.
Les vestiges les plus anciens découverts sur le site d’Anglade sont datés du tout début de notre ère. Ils se concentrent dans la partie sud-est de l’emprise et se présentent sous la forme de trous de poteau, de fosses et de fossés. Aucune organisation cohérente n’a pour l’instant été identifiée. Il pourrait s’agir de la période durant laquelle le camp se présente sous la forme d’une installation temporaire construite en matériaux périssables, ne laissant ainsi que peu de traces.
Le premier état du camp pérenne entre 30 et 60 ap. J.-C.
Autour de 30 ap. J.-C., un camp pérenne est construit avec des murs en solin de galets et une élévation en matériaux périssables, associés par endroits à des sols en mortier de tuileau. Le camp s’organise autour d’une voie nord-sud qui s’interrompt au nord lors de son croisement avec une voie est-ouest.
De part et d’autre du cardo, sont construits des casernements pour loger les soldats. Ces constructions sont très normées et symétriques de part et d’autre de la voie. Trois blocs de casernements ont été identifiés de chaque côté du cardo sur l’emprise de la fouille : un unique au nord le long du decumanus et deux dos à dos au centre de l’îlot séparé par des ruelles. Un bloc est constitué de plusieurs cellules (papilio) pourvues d’une avancée (arma) donnant sur la ruelle. À l’extrémité côté rue, des pièces plus grandes correspondent au logement du centurion. Chaque cellule est dotée d’une plaque-foyère qui servait à faire la cuisine et à chauffer la pièce.
Au nord de l’emprise, le cardo est interrompu par un bâtiment de grande taille, interprété comme le principia, c’est-à-dire le bâtiment de l’état-major. La partie observée sur la fouille correspond à la grande cour qui se situe en avant du bâtiment d’habitation. Elle est entourée d’un probable portique.
Le deuxième état du camp permanent entre 60 et 80 ap. J.-C.
Vers les années 60 ap. J.-C., le camp est reconstruit peut-être après l’incendie de la partie orientale des casernements. Cette reconstruction est réalisée en maçonnerie. Les murs de soutènements est-ouest des casernements ainsi que ceux du principia sont bâtis entièrement en maçonnerie de calcaire liée au mortier tandis que les murs de refend qui séparent les cellules sont construits en maçonnerie de calcaire et mortier mais probablement uniquement sur leur partie inférieure avec une élévation en matériaux périssables. Pour cette phase, les cellules mesurent 6 m de long pour 3 m de large et sont précédées d’une arma d’environ 3 m de long.
L’organisation du camp reste la même avec au sud, de part et d’autre de la voie, trois séries des casernements organisées autour de cour et au nord, la cour du principia, toujours entouré d’un portique.
Le site semble être abandonnée après 80/90 ap. J.-C. et les maçonneries des bâtiments sont largement récupérées, probablement pour être réutilisées dans la ville d’Excisum. Il faut noter qu’excepté une fosse datée du IIe s. et peut-être une série de plot, le site n’est pas réoccupé.
Des témoins de la vie quotidienne
Le site a livré un grand nombre de fosses (fosses dépotoirs, latrines et puits) mais leur datation n’est pour l’instant pas connue et il n‘est pas possible de les rattacher à l’une des grandes phases. Les latrines fouillées, notamment à l’aide de la structure du Pôle Milieu Confiné montrent une certaine hétérogénéité que ce soit au niveau de l’ouverture (circulaire, ovale ou quadrangulaire) et de leur profondeur (entre 1,50 et 2,50 m de profondeur). Les puits fouillés intégralement mesurent environ 6,50 m de profondeur et présentent des encoches afin de pouvoir descendre et remonter. Enfin, les fosses ont livré un mobilier abondant que ce soit en terme de céramique mais aussi de métal.
Un important mobilier est exhumé des fouilles. Il s’agit, pour une majeure partie, de céramiques dont une quantité importante de sigillées et d’amphores, pour certaines importées d’Afrique. Un important corpus de monnaies et d’autres objets liés au domaine militaire et notamment à la cavalerie (phalère, harnachement, etc.) a également été découvert. Ce mobilier est complété par toute une série d’objets associés à la vie quotidienne de la caserne comme des fragments de vases en verre, des jetons, des perles…
La fouille du camp d’Excisum apporte de nombreux éléments inédits. En effet, seulement trois camps militaires sont connus pour le Sud-Ouest de la France (Aulnay-de-Saintonge, Saint-Bertrand-de-Comminges et Villeneuve-sur-Lot) et Anglade est le seul à avoir été fouillé dans le cadre de l’archéologie préventive. La fouille a permis également d’étudier l’évolution du camp dans le temps avec d’ores et déjà trois phases identifiées.
Les études du mobilier ainsi que des données récoltées se poursuivent actuellement et permettront d’affiner nos connaissances de ce site et de son occupation.